EKOSYSTEM / genèse du projet
« La musique a toujours eu affaire à la nature. »
Par le biais des théories de l'imitation, dans le passé, celle-ci était représentée, imaginée, rêvée […] au sein d'une œuvre musicale. Avec la modernité, de nombreuses autres portes se sont ouvertes. Dans certains débats aux débuts de la musique électroacoustique, on a parlé de retour à la nature, à l'état originel du son : de façon presque paradoxale, à travers cet appareillage technique permettant l'enregistrement. […] Il peut cependant se réaliser une relation entre musique et écologie sonore grâce à deux évolutions étroitement imbriquées qui s'opèrent en musique, et qui sont en train de se parachever sous nos yeux.
La première concerne la notion d'espace qui, indissociable de la musique dans bien des cultures, avait été occultée durant l'époque de « la grande musique », où tout se passait comme si la musique se déroulait « ailleurs », dans une sorte de transcendance […] Debussy rêvait déjà d'une « musique de plein air », synonyme de liberté « qui planerait sur la cime des arbres dans la lumière de l'air libre » (écrivait-il). Dans les années 1950-60, Edgar Varèse, Karlheinz Stockhausen, Xenakis… s'emparèrent de l'espace comme nouvelle dimension de « projection sonore ». […]
La seconde évolution concerne la tendance de certains courants musicaux à procéder à un recentrement sur le son. En effet, de Debussy à la musique contemporaine de ce début de XXIème siècle, du rock à l'electronica, des objets sonores de la première musique concrète à la musique électroacoustique actuelle, du Poème électronique de Le Corbusier-Varèse-Xenakis aux tentatives interarts les plus récentes, le son est devenu l'un des enjeux majeurs – sinon l'enjeu majeur – de la musique. […]
Il se constitue ainsi un champ intermédiaire entre la musique au sens traditionnel du terme et l'écologie sonore, un champ où prolifèrent de nombreuses pratiques et qui constitue peut-être l'avenir d'une partie de la musique. C'est par exemple le cas de certaines installations sonores. […] Arrêtons-nous sur les réalisations sonores travaillant des écosystèmes. Dans ce domaine, on pourrait inclure le travail pionnier d'Alvin Lucier et celui de musiciens plus récents tels que Nicolas Collins, Simon Waters, Agostino Di Scipio…
Nous allons commenter les propositions théoriques et les réalisations de ce dernier, en partant de la notion d'« émergence », une notion qui, en un certain sens, peut développer le lien entre musique et écologie.
La notion d'émergence a été élaborée par les sciences cognitives à partir de la fin des années 1970. Dans son Invitation aux sciences cognitives, Francesco Varel la pose comme second paradigme des sciences cognitives, l'opposant au paradigme computationnel. Ce dernier se fonde sur l'idée que le cerveau fonctionnerait comme un ordinateur : d'une part, il consisterait en un système de traitement de l'information ; d'autre part, le calcul porterait sur des symboles, ce qui signifie que le support (physique) et le sens ne seraient liés que par convention. Le paradigme de l'émergence, lui, s'inspire du réseau neuronal, ce qui entraîne l'idée d'un système sub-symbolique : le niveau « supérieur » (l'intelligence, le sens, etc) émergerait du réseau lui-même. C'est pourquoi Varela est l'un des pionniers de la notion d' « autopoïèse » et, plus généralement, de la notion de systèmes autonomes dont l'auto-organisation est la condition de l'émergence. »
MAKIS SOLOMOS
La citation de Victor Hugo, ainsi que les morceaux choisis de l'article de Makis Solomos publié dans la revue Sonorités numéro 7 en 2012, reflètent de manière troublante la genèse du projet EKOSYSTEM. L'histoire de la musique arrive au point où tout cela devient réalisable. Mon désir de musicien et la force invisible qui m'ont conduit presque naturellement à préparer inconsciemment le terrain, à imaginer, développer, composer, puis saisir ce projet ne sont que le fruit de recherches passées, de rêves de pionniers ouvrant simplement la voie d'un rouage entrainé et graissé par plusieurs générations, depuis longtemps… Et je suis fier de m'inscrire dans cette tradition, et de tenter de « faire entendre la nature ».